Yves Michaud
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Yves Michaud

« Un souvenir d’Yves Michaud »

 

Publié le 6 mai 2014

 

« J’ai visité hier les expositions de Chen Zhen, artiste chinois né en 1955, arrivé en France en 1986 et malheureusement mort en 2000.

 

L’exposition à la galerie Perrotin rue de Turenne est une très forte et très complète rétrospective allant des peintures vite abandonnées à son arrivée à Paris à des installations monumentales telles ces douze paires de traverses de chemin de fer noires, sanglées de métal, qui écrasent des livres calcinés reposant eux mêmes sur un lit de pierres. Certaines oeuvres ont été réalisées post-mortem car Chen Zhen se savait malade depuis très longtemps et avait produit un grand nombre de projets qui pourraient être réalisés dans l’avenir. Au 104, l’installation Purification room, de 2000 montre un intérieur peuplé d’objets, entièrement recouvert de boue argileuse – restes d’une vie engloutie, revenue au limon.

 

En visitant ces expositions, je retrouvais le souvenir poignant de ma rencontre avec Chen Zhen en 1990 lors d’un événement étonnant et quasiment inconnu organisé par une jeune femme, Michèle Cohen, qui, à Pourrières, village proche d’Aix en Provence et site d’une sanglante bataille entre Marius et les Cimbres et les Teutons, avait réuni les principaux jeunes artistes chinois de l’époque, dont personne ou presque n’avait encore entendu parler et qui avaient quitté la Chine après des tentatives infructueuses d’interventions avant-gardistes. Il y a avait là Wenda Gu, Yan Pei Ming, Huang Yong Ping, Cai Guo  Qiang, Yang Jie Chang et, bien sûr Chen Zhen. Tous allaient devenir des figures importantes.

 

Ces artistes avaient envahi le village. Ming, par exemple, avait peint ses grands portraits expressionnistes sur les battants des portes des caves de quasiment toutes les maisons du village, Wenda Gu avait fait enterrer au bulldozer quatre dalles de pierre gravées de 2m sur 1m sur 1m aux médianes d’un quadrilatère encadrant le territoire du village.

 

Chen Zhen, lui, avait réalisé deux pièces dont l’une m’a marqué pour toujours. Dans un bois de pins récemment détruit par un incendie de forêt, il avait crucifié sur les troncs brûlés des objets trouvés à la décharge municipale : frigidaires, objets ménagers, bidons, télévisions, pièces de machines agricoles. C’était tout à la fois la nature crucifiée, la consommation stigmatisée, l’usure de la vie, le temps qui dévore tout comme un feu. C’était surtout d’une beauté fulgurante dans ce paysage de cailloux blancs aveuglants sous le soleil, de tronc noirçis et d’objets abandonnés et jetés. Il m’a semblé hier que, quels que soient les discours invoqués par les cartels de l’exposition sur l’art, la culture, la communication entre Orient et Occident, l’oeuvre de Chen Zhen était d’abord une méditation continuelle et lancinante sur la mort et la destruction.

 

Je m’étais ensuite lié avec Chen Zhen. Son humour et sa vitalité étaient un bonheur, son stoïcisme aussi impressionnant que discret. Sur mon invitation il était revenu à l’école des Beaux-Arts (où il avait été accueilli en 1987 quand sa situation était si misérable et précaire) comme professeur invité et avait fait une superbe exposition monumentale.

 

En revenant des expositions, je pensais non seulement à Chen Zhen mais à un autre très grand artiste disparu dont j’étais proche, Richard Baquié, qui malheureusement a laissé une oeuvre beaucoup moins importante en volume que Chen Zhen. L’histoire de l’art est aussi une affaire de longévité et de mémoire fidèle. »

 

Yves Michaud

 

* Michèle Cohen anime maintenant La Non Maison, un « micro-centre d’art »  à Aix en Provence. Un catalogue de l’événement de Pourrières était paru aux éditions Carte Segrete sous le titre Art chinois, Chine demain pour hier.