Davide Sgambaro « Le projet de l’étoile »
L’école du Regard – Point de vue [12]
Samedi 4 juin 2016
Dans le travail de Davide Sgambaro deux modes différents d’exécution entrent en collision : l’impulsivité de l’émotion et la méticulosité de la recherche. Ayant toujours été lié à l’écriture, l’artiste combine l’art visuel avec la littérature pour tenter de matérialiser et de rendre visible ce qui le fascine : les silences entre les mots, les espaces entre les objets, etc.
Marchant sur les cordes de la poésie conceptuelle et visuelle, Davide Sgambaro joue avec les titres comme s’ils étaient eux-mêmes des objets, avec des installations qui reflètent les sensations, les sentiments, mais avec un regard critique et ironique sur notre société contemporaine.
Davide Sgambaro met la poésie en acte.
Avec le projet de l’étoile, l’artiste décide de voler une étoile des mains des sites à but lucratifs qui ne sont pas en droit, éthiquement, de faire cette transaction.
Cette démarche artistique est également visible dans la performance Dialoghi #1, réalisée en 2013 à la Fondation Pinault (Punta Della Dogana) où, à la suite du retrait de la sculpture de Charles Ray, L’enfant à la grenouille, l’artiste entre en conversation avec un objet, lampadaire qui était à côté de cette sculpture, avec le morse lumineux, pour expliquer au public les événements politiques qui se passent à ce moment-là à Venise.
Davide Sgambaro se concentre sur les situations qui le hantent et le fascinent dans la société moderne. Il se sert de ces obsessions pour les traduire en projets artistiques (voir l’oeuvre Scomposizione di una lacrima mentre forma un’ombra prima dello schianto a terra. Si apoggia. 2015).
L’artiste considère la prise de risque comme étant un élément essentiel dans son travail, du risque intime de l’expérience personnelle à la recherche sur l’illégalité et la légalité, comme un paradoxe intrinsèque à l’œuvre d’art.
Concept
« Dans cette contemporanéité qui est la nôtre, je suis fasciné par ce que l’homme peut transformer en stéréotype et rendre achetable, presque comme si l’humanité avait développé une capacité nouvelle : la destruction de la poésie et de la mystique des choses, des événements.
Le projet de l’étoile est inhérent à certaines entreprises en ligne qui, depuis une décennie, ont créé plusieurs sites où des personnes fortunées peuvent acquérir la propriété du nom d’une étoile.
Cette opération fut immédiatement considérée très poétique par les acheteurs qui très vite ont effectué cette transaction comme présent pour une célébration, un anniversaire, un mariage…
Ces entreprises activent une opération jugée légale mais éthiquement illégale par le fait même de vendre la propriété de quelque chose sur laquelle personne n’a de droit.
Le projet vient d’un rêve utopique que je faisais enfant : vouloir atteindre une étoile. Maintenant, ayant grandi, je partage avec l’humanité ces paradoxes sur lesquels j’ai décidé d’agir.
Mon travail consiste en l’étude de ces sites et de leurs produits avec un expert en informatique et un astrologue pour planifier le vol d’une étoile. Une métaphore poétique comme celle que Robin des bois nous enseignait : voler aux riches pour donner aux pauvres.
En activant ce mécanisme, l’acte de voler une étoile est plus poétique que le simple fait de l’acquérir, l’étoile étant toujours une métaphore de l’inaccessible; un inaccessible lumineux, un brillant espoir, une utopie lointaine.
Le vol sera très simple ; il suffit de changer le nom d’une étoile déjà vendue pour activer le vol symbolique. Le nom n’a pas encore été choisi, toutes ces étapes faisant partie du processus de création.
La réalisation de l’ensemble du projet peut être envisagée entre trois et six mois, en fonction des personnes que je dois rencontrer et avec qui je dois collaborer ainsi que des fonds nécessaires à la réalisation du projet final.
Une collaboration avec les élèves et professeurs de l’Université Pierre et Marie Curie serait le point de départ de ma recherche, étant spécialisée en Informatique et Astrophysique. L’institut d’Astrophysique de Paris, appartenant à l’Université Pierre et Marie Curie ainsi que la collaboration avec CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) me permettront d’approfondir mes recherches sur la localisation de l’étoile.
D’autre part, la collaboration avec des laboratoires d’informatique, comme LIP6 (Laboratoire Informatique de Paris VI ) m’aideront à réaliser le projet final.
Une consultation avec un avocat sera également prévue pour pouvoir comprendre comment ces compagnies peuvent vendre quelque chose de si précieux, précaire et libre de droit que sont les étoiles.
La collaboration de tous ainsi que l’aide, technique et morale de ces personnes capables et désireuses de réaliser ce projet avec moi sont indispensables.
Je crois à la prise de risque, sans risque il n’y a pas d’innovation, s’engager pour des petites actions a toujours changé notre façon de voir et de penser l’Histoire, passée, présente et future. Si chacun de nous était prêt à faire cela, le monde serait plus fascinant, si ce n’est meilleur. »
Davide Sgambaro, artiste lauréat du Prix de l’Ecole du Regard.
Sacha Guedj-Cohen